Mon TDAH, mes hyperfixations et moi
Ce qui a probablement fait que mon TDAH passe complètement inaperçu au reste du monde, comme à moi-même, pendant toutes ces années, c’est qu’à chaque fois que mon trouble se manifestait, tout était fait pour le faire taire. C’était notamment le cas pour mes multiples obsessions ou hyperfixations.
Il n’est pas rare, quand on a un TDAH, d’avoir en commun avec les personnes autistes le fait de développer des centres d’intérêt très intenses, ce qu’on appelle les hyperfocus, et de se documenter à fond sur un sujet jusqu’à ne penser qu’à ça, d’en parler des jours, des semaines, parfois des mois.
Enfant, j’ai eu plusieurs hyperfixations qui ont suscité pas mal de désintérêt, voire d’agacement, chez mon entourage.
« Oui, c’est bien mignon tout ça, mais reviens un peu à la réalité ! Redescends de ton nuage, la vie, ce n’est pas ta petite passion enfantine. »
La seule obsession que je dirais avoir été tolérée et même appréciée, c’est mon engouement pour l’univers de Tintin. J’ai grandi avec Tintin, j’ai appris à lire, à écrire, à dessiner même grâce à Tintin. Cet univers fait vraiment partie de ma vie, voire de ma famille, mais c’est un autre sujet!
C’était une obsession qui passait bien car, il faut le dire, il était plutôt rare que Tintin intéresse les petites filles.
En revanche, mes autres obsessions étaient perçues comme de simples lubies, des moments de flottement ou des rêveries jugées inutiles et immatures. C’est en manifestant ces centres d’intérêt qu’on me disait que j’étais dans mon petit monde et que je devais redescendre sur Terre, en plus de me voir sans cesse « dans la lune ». Il faut dire qu’enfant, et ça ne m’a jamais vraiment quittée, j’étais toujours plus heureuse dans mon imaginaire que dans la réalité.
Très vite, dès la fin de l’enfance, j’ai compris qu’évoquer mes sujets d’hyperfocus était tabou. Il ne fallait pas en parler, je le sentais bien : les gens autour de moi ne fonctionnaient pas de la même manière, leurs intérêts n’avaient pas la même charge émotionnelle que les miens. Et, chaque fois que ma façon d’être, d’aimer et de m’enthousiasmer pour un sujet était piétinée, cela me blessait profondément. J’ai donc fini par en faire automatiquement mon jardin secret. J’ai gardé tout ça pour moi.
Cette propension au surpartage, j’ai tant essayé de la contenir que cela a nourri mes rêveries compulsives et amplifié mon anxiété. J’insiste : amplifié, pas créé. L’anxiété étant une comorbidité fréquente du TDAH, le fait de taire mes hyperfixations n’a fait qu’en rajouter une couche.
Au fond, le fait de cacher tout cela n’a fait que confirmer ce que je ressentais déjà : puisque j’étais différente du reste du monde, le fossé entre les autres et moi ne faisait que grandir. Et puis, j’ai eu honte. Honte d’être aussi obsessionnelle, de toujours être « trop ». Parce qu'autour de moi, personne ne l’était, et je voyais bien qu’il y avait quelque chose qui clochait. Et ce truc qui clochait, c’était moi. Pourtant, tout cela n’avait aucun sens, car je ne faisais rien de mal : je n’étais ni délinquante ni « asociale », juste une enfant, et plus tard une ado, fragile et obéissante.
Je ne comprenais pas ce qu’on me reprochait vraiment.
À l’adolescence, des événements familiaux très graves sont survenus.
Je me suis alors réfugiée dans la rêverie compulsive. Puis sont venus les épisodes d’automutilation, les nombreuses pensées suicidaires. Bien sûr, tout cela a été étouffé, mis sous le tapis, parce qu’à ce moment-là, la priorité, ce n’était pas moi, mais quelqu’un d’autre, qui, disait-on, souffrait plus que moi et en avait de "vraies raisons". Moi, je n’étais « qu'une gamine ».
Mais revenons aux hyperfixations...
Longtemps, je me suis demandé ce qui m’avait aidée à garder la tête hors de l’eau pendant ces années difficiles.
C’étaient elles : mes hyperfixations, mes sujets d’obsession.
Je pense que mon TDAH m’a, d’une certaine façon, permis de fuir le monde, en me créant le mien. Ces sujets sont devenus, à leur manière, des membres de ma famille. Comme ils ne subissent pas le temps ni les aléas de la vie, ils restent inébranlables. Ils ne m’ont jamais trahie. C’est pour ça que je n’ai pas de nostalgie : mes rares souvenirs heureux, en dehors des évènements ponctuels vécues avec certaines personnes, sont ceux forgés par mon imaginaire.
On pourrait croire que c’est « cool » comme mécanisme de survie, et ça l’est : ça m’a probablement évité de tomber dans d’autres formes d’addiction. Mais ça ne m’a permis que de survivre psychiquement. Cette rêverie compulsive était-elle une forme de dissociation ? Je ne sais pas. J’essaie de ne pas employer de mots que je comprends mal, mais le terme « dissociation » me vient toujours à l’esprit quand je repense à ces hyperfixations oniriques.
Si c’est formidable qu’elles m’aient permis de survivre, c’est aussi dommage. J’aurais aimé vivre une vie ancrée dans le réel : me créer des souvenirs ici-bas, tisser des liens, être attachée au monde. Mais rien dans ce monde n’a provoqué cet attachement. Entre les violences physiques, les moqueries, le harcèlement, la manipulation, le rejet, la stigmatisation, le validisme inconscient de l’époque, la fuite face à mes comportements suicidaires… Qu’est-ce qui aurait pu me donner envie de vivre ? Qui me donnait de bonnes raisons de vivre dans ce monde ?
Les hyperfixations ont été mon "radeau de la Méduse".
Le problème, c’est que je ne pouvais pas compter uniquement sur elles pour survivre et vivre. J’aurais aimé pouvoir en parler librement, en faire un moteur de créativité, mais cela aussi a été moqué. Je n’avais pas les mêmes centres d’intérêts que les autres ados de ma génération, et le fossé entre eux et moi ne faisait que s’élargir. Alors j’ai continué à me taire.
Puis, vers la trentaine, j’ai arrêté. J’ai commencé à en parler. Il y a eu la découverte des forums, des personnes qui partageaient mes intérêts, la même façon obsessionnelle d’en parler, et parfois elles aussi étaient neuroatypiques!
La trentaine a été une décennie de délivrance, de redécouverte et de légitimation de mes propres émotions. Ce que je suis, ce que je ressens, ce que j’aime, tout cela est légitime. Et, enfin, on me l’a dit.
On me disait toujours de tout garder pour moi, au risque d’agacer les gens, et que pour faire passer une obsession, qu'elle soit positive ou négative, il fallait arrêter d’en parler. Pour moi, c’est l’exact contraire. Je crois qu'il faut laisser ses centres d'intérêt vivre, leur permettre d'exister, de s'exprimer. Cela peut passer par la créativité. Le dessin, le chant, la musique, qu'importe. Quand on a des hyperfocus, ils ne demandent qu'à vivre.
Ils font partie de l'histoire de ma vie.
Et vous, quels sont vos hyperfocus ?
Ca me parle. Triste que tu ai eu une période aussi sombre à l’adolescence.
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