Journal d'une TDAH(ieuse)

Je ne sais pas si l’algorithme est le reflet d’un validisme généralisé ou s’il a juste compris que jouer sur nos angoisses et nos difficultés exécutives est le moyen le plus efficace de nous garder captifs. Mais une chose est sûre : c'est que ça fonctionne

Il faut dire, quand tu vois un micro-trottoir où on demande à des mecs s’ils pourraient faire atterrir un avion en cas d’urgence, et qu’ils répondent “Oui, évidemment!” sans l'once d'une hésitation, tu comprends pourquoi ces mêmes gars se sentent experts en santé mentale sur les réseaux. 
Fake news, ignorance totale, zéro notion scientifique ou psy, et aucune gêne à balayer des années d’études d’un revers de la main. 
Dans un monde où l'opinion est devenue plus importante que les faits, c'est maintenant qu'on doit tirer la sonnette d'alarme. 

La santé mentale n'est pas une opinion. Elle se base sur des faits. Si on parle autant du TDAH, c'est parce qu'on est dans une époque où parler de la santé mentale commence à faire ses armes. Je me souviens que, dans les années 90/2000, c'était un non sujet. Une honte même. Personne ne disait qu'il ou elle allait chez le psy. La dépression, c'était une "maladie typiquement occidentale". Un coup de pied au cul et c'est reparti. On le dit encore aujourd'hui, évidemment, mais on ne peut plus ignorer que la dépression est une véritable maladie qui concerne tout le monde.
Si on enlève la tension mondiale actuelle qui fait exploser les troubles anxio-dépressifs, on ose enfin parler de ces maladies et troubles invisibles. Il y a une reconnaissance. Alors oui, c'est pas encore une sinécure. Mais c'est bien mieux que dans les années 2000.

Hier, en rangeant mes affaires (choses que je n'arrive à faire que depuis que je prends ma Ritaline), je suis retombée sur mon carnet de santé et, ô surprise, le TDAH était déjà mentionné. Non, pas le mot en lui-même, mais ses symptômes. 
Quand on mentionne sur un carnet de santé qu'une enfant est "bougeon, agressive et souvent dans son monde", ce n'est pas une simple petite paresse de l'enfant. 

Un enfant TDAH n’est PAS un enfant mal éduqué. En revanche, c’est un enfant exposé à une stigmatisation féroce et à un risque élevé de harcèlement. Pas toujours, heureusement, surtout quand il bénéficie d’un accompagnement adapté. Mais dans les années 90, il n’y avait rien. Absolument rien.
Pour ma part, j’ai subi un harcèlement scolaire incessant, de la primaire à la fin du lycée, en plus de violences familiales. Certains proches se sont montrés exécrables à mon égard. Entre condescendance, psychophobie, relativisme et déni total de mes souffrances, j’ai vu mon anxiété et mes crises suicidaires exploser pendant les deux tiers de ma vie.

Il y a tellement de responsables à cette spirale infernale que je ne peux pas jeter le bonnet “coupable” sur une seule tête. Même si souvent, ma rancœur se cristallise autour d’une personne en particulier, je sais que la colère est davantage tourné vers le collectif.
Il y a toutes celles et ceux qui, sous couvert de fausse bienveillance, me donnaient des “bons conseils” pour que je me taise. Ces voix qui n’ont jamais cessé de me répéter que j’étais une larve, une faignasse, condamnée à me faire broyer par la vie si je continuais à “merder”. Ceux qui me reprochaient de trop ressentir, trop penser, trop intellectualiser, trop me prendre la tête.
Quand on martèle ces mêmes insanités au moins une fois par semaine dans la tête d'une personne, comment peut-elle trouver sa place dans le monde ? Comment peut-elle se sentir légitime d'exister ? Ajoutez à ça les souffrances liées aux injonctions sexistes, et la balance finit par devenir insupportable.

Les rares fois où j’ai tenté de me rebeller, j’ai été aussitôt neutralisée, réduite au silence. 
À cause de mon TDAH, il me faut toujours plus de temps pour trouver mes mots, les placer, construire un argument. En face, eux étaient plus rapides, plus vifs : ils savaient exactement comment me faire taire. 
Alors je me suis tue. J’ai hoché la tête, bêtement, parce que je n’avais pas le choix. J’ai passé ma vie, au mieux à écouter les gens, au pire à faire semblant, sans que ça ne dérange personne. J’ai appris à me suradapter, parce que toute mon éducation tournait autour de l’obligation de prendre soin des autres et de m’oublier. La génération des boomers adore te rappeler que tu n’es rien, que les autres passent avant toi. Et c'est comme ça qu'on casse une vie entière. 
Aujourd'hui, on connait les conséquences du déni de la détresse psychique dans laquelle on se trouve.

Depuis mon diagnostic du TDAH, et depuis que je vis avec quelqu’un de vraiment éveillé (bien plus que de nombreuses personnes que j’ai croisées avant) je commence à peine, à 38 ans, à intégrer que je n’ai plus à avoir honte de mes difficultés. 
Vous savez quand j’ai réalisé ça ? Un détail tout bête. Pendant un webinaire sur le TDAH au féminin auquel j'ai participé, on m’a posé une question que je n’ai pas réussi à retenir. 
Et j’ai dit : 
Je n’ai pas suivi, vous pouvez me reposer la question ?” 
Pour la première fois, je n'ai pas eu honte. 
Un autre déclic a eu lieu l’an dernier. En bossant sur ma BD de sensibilisation sur le TDAH, je suis tombée sur des chiffres glaçants : les personnes avec un TDAH sont bien plus susceptibles que la moyenne de développer des pensées suicidaires, voire de faire des tentatives de suicide.
Là, j’ai compris l’urgence de prendre soin de moi. J’ai arrêté de culpabiliser de galérer autant. 
Oui, j’ai droit à des aides, à du soutien, à un accompagnement. Oui, mon TDAH est un handicap. Peut-être pas pour tout le monde, mais pour beaucoup, c’est une vraie paralysie, au boulot, dans la vie sociale, dans la vie tout court. 

En définitive, après un diagnostic posé par un psychiatre, une neuropsychologue, des preuves noircies sur mon carnet de santé, et une vie de galères, je crois que je peux affirmer sans vergogne que l’avis de Jean-Eude sur la “tendance” TDAH, je m’en contrefous royalement.

Oui, ça me fout encore une rage noire de voir ces mecs faire du mansplaining sur les réseaux, expliquer la vie aux personnes concernées alors qu’ils n’y connaissent strictement rien. Mais ce qui a changé, c’est qu’en face, il y a du répondant. Ça, c’est nouveau et c'est l'espoir que rien est foutu.

On va avancer. Parce que, comme toute révolution sociale, la reconnaissance de la santé mentale dérange ceux qui n’ont jamais eu à y penser.
On pourrait vivre sous le joug d’un monde autoritaire : jamais on ne reculera. Parce que l’essence même des sociétés, c’est d’évoluer. En décennies, en siècles, ou plus. Lentement, trop lentement, mais inévitablement. Et il n’y a rien que les haineux puissent faire pour arrêter ça.



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