Dédiaboliser la vulnérabilité

Rappel: 
Cet article est la résultante d'une opinion subjective et non l'énumération de faits certifiables. Tout ce que vous lirez ne fait pas office de vérité absolue. Je suis un être humain qui exprime sa vérité, sa perception subjective du monde. 
Bonne lecture.



Mes mots vont être assez durs mais j'ai besoin de les exprimer. 
Je pense que l'on pousse les gens au suicide. On ne s'attarde jamais sur les causes des souffrances. Nous ne regardons pas assez les gens autour de nous, ni même ne sommes assez attentifs aux signes, à ces détails de souffrance qui transpirent chez l'autre, pour peu que ça soit perceptible. Se demande-t-on sincèrement comment on va ? Et puis, comment peut-on se soucier de savoir comment vont les autres si l'on ne sait pas soi-même comment on va ? 
Si je ne me connais pas assez, ni ne suis pas assez attentive à mes émotions, mes propres douleurs, comment puis-je être attentive à celles des autres ? 

Et puis, comment est-on attentif à soi ? 
Je pense que ça commence dès l'enfance. Apprendre à l'enfant,son enfant, à reconnaître ses propres émotions, les rendre valides, légitimes d'exister, c'est essentiel pour que cet humain en construction sache se connaître, voire se reconnaître.
Je crois avoir déjà dit que le risque de comportement suicidaire est bien plus élevé chez les personnes avec un TDAH Je l'évoque d'ailleurs rapidement dans ma petite BD "Journal d'une TDAH(ieuse)".

Le suicide, c'est encore l'un des nombreux tabous subtilement entretenus dans notre société. J'aime bien entendre un peu partout des spécialistes rappeler que, maladies psychiques ou pas, une personne sur cinq sera concernée par les pensées suicidaires au moins une fois dans sa vie. 3 suicides sur 4 sont commis par des hommes. Dans les années 2000, je lisais une étude estimative qui disait qu'à partir de 2020, le suicide serait la deuxième cause de mortalité dans le monde. 
La santé mentale des jeunes a davantage dégringolé ces cinq dernières années. Et il reste encore des gens pour blâmer la jeunesse de ne rien faire, de ne pas se motiver pour travailler. Faire l'autruche et délibérément nier le problème sanitaire dans lequel on nage est un défaut humain indécrottable. 

Nier les inégalités sociales, les souffrances individuelles est ce que l'humain sait faire de mieux. Il est plus facile d'attaquer les conséquences de la souffrance que les origines. Si tu vas mal, c'est ta perception de ton épreuve qui la rend difficile. Change d'état d'esprit et tout ira mieux. C'est résumé grossièrement mais c'est ce que l'on subit tous dans notre belle société capitaliste et c'est entretenu aussi à travers les discours new age. Culpabiliser les gens en les rendant responsables de leurs souffrances et de leurs "échecs", les pousser à se dépasser, tout pour ne pas remettre en question un monde qui ne s'adapte pas, qui n'est pas équitable, pas égalitaire, pas assez humain, qui ne répartit par les richesses. Tout ce qui sort d'une norme sociale pré-établie n'a pas le droit d'exister.

Rares sont les premières tentatives de suicide qui débarquent sans prévenir, même si elles existent aussi. Il y a eu des signes de détresse auparavant, des tentatives ratées. Et d'autres cas où on n'a rien vu venir.  À qui en vouloir de ne rien voir ? Une personne ? Plusieurs ? Ou bien faut-il à en vouloir à tout un système, une société défaillante ? La réponse est complexe. 

Dans les années 2010, on vivait l'ère de la pensée positive. La joie à outrance, avec interdiction de la moindre négativité. Cette pensée positive devenait une injonction au bonheur. Si tu vas mal, c'est de ta faute. Si le monde tourne mal, ce n'est pas lui le problème. Tu ne souffres pas d'inégalité sociale, ni de validisme, ni de psychophobie. Non, tu n'es pas niée dans tes souffrances. Le vrai problème, ce n'est pas ça. Le vrai problème, c'est comment toi tu vas réagir à tout ce que tu te prends dans la figure. Si tu réagis mal, si tu souffres, ça n'est pas ce t'a envoyé la souffrance en pleine figure le problème, c'est toi. Tout dépend de ta réaction. Ne prends rien mal, tu es plus forte que ça. Si tu réagis mal, c'est ton égo, il faut que tu surpasses ton égo. Si tu as des problèmes de santé, c'est l'univers qui te rappelle que tu es sorti de l'essentiel, c'est une épreuve qui doit t'en apprendre sur toi. Et au diable ces histoires de génétique, de facteurs environnementaux. C'est toi qui te crées des problèmes. 

* Ironie *
C'est vrai ça, après tout, les traumatismes liés aux violences sexuelles, conjugales, familiales, le rejet social, la solitude, tout ça n'est pas la faute d'un système, c'est la faute de la victime, toujours. Dans le fond, quitte à aller aussi loin, les personnes nées avec un handicap lourds ou bien, les enfants à l'autre bout du monde qui meurent sous les bombes, peut-on aussi dire que c'est un peu de leur faute tout ce qui leur arrive ? N'ont-ils pas commis l'erreur de laisser leur égo les dominer ? 

Le plus dur dans cette histoire, c'est de se dire que c'est impossible d'en vouloir à des personnes spécifiques. Parce que ces mêmes personnes sont elles aussi victimes d'un système qui les pousse à se détruire et à détruire les autres. Les victimes peuvent devenir des bourreaux. Si nous sommes dans un monde qui n'a eu de cesse d'avancer dans le "progrès", il n'y a aucun progrès sur la question de la compréhension des émotions, les nôtres comme celles des autres. 
Sur ces questions-là, je pense que nous en sommes encore à l'ère préhistorique. 

Je ne m'exempte pas d'avoir peut-être fait partie de ces personnes qui n'ont rien vu, rien entendu de la souffrance des autres. Si je suis victime d'un système qui a fait que 95% de ma vie a été assaillie de pensées suicidaires, je ne suis pas toute blanche. Probablement que mes propres souffrances m'ont empêchée de voir celles des autres. Et peut-être que les personnes qui n'ont pas été capables de m'aider étaient, pour certaines d'entre elles, assaillies par leurs propres douleurs. La pureté n'existe pas. La pensée binaire n'existe pas. C'est loin d'être aussi simple. Notre humanité est faite de failles, de contradictions, de retours en arrière, de remises en question, de jugements de valeur, d'erreurs. 

On fait quoi de ça, me diriez-vous ? 
La réponse toute faite n'existe pas. Mais on peut commencer à voir ensemble les pistes à explorer.

Quand est-ce que vous avez demandé sincèrement à une personne comment elle va pour la dernière fois ? Pas le "ça va" traditionnel dont on se fiche de la réponse, mais le vrai "ça va?" qui impliquera de vous asseoir quinze, voire vingt minutes, de temps à temps, pour écouter. Juste écouter. Parce que très souvent, j'ai remarqué que les gens ne veulent pas forcément qu'on leur donne de solutions. Ils veulent souvent qu'on les écoute, qu'on les considère, et qu'on leur rappelle qu'ils sont légitimes dans leur chagrin, leurs injustices. Ils ont besoin qu'on leur dise: "je te crois", " je t'entends", "c'est injuste ce que tu vis", "je suis tellement triste pour toi", "tu me touches". Ça, c'est la première étape; être dans l'empathie et la reconnaissance de ce que vit l'Autre.
Ensuite, on peut commencer à envisager de trouver une solution. Mais on ne peut pas survoler ce que ressent une personne. 

Fuir les émotions des autres, n'est-ce pas une manière de fuir les nôtres ? 

Je pense que notre monde ne laisse pas assez de place à l'intime, voire à notre profonde vulnérabilité. Pas tellement parce que cette vulnérabilité ouvrirait la porte aux abus, mais parce que cette vulnérabilité ainsi exposée ne ferait que révéler notre profonde humanité. En quoi cela est-il mal d'être vulnérable ? 

Pour commencer à changer ce monde, probablement faut-il envisager de regarder en face sa propre vulnérabilité. Ensuite, serons-nous sûrement capables de pouvoir reconnaître celles des autres et d'en prendre soin.

Qu'en pensez-vous ? 

2 commentaires:

  1. Toujours très juste dans tes réflexions. L’équilibre est tellement difficile à trouver.

    RépondreSupprimer
  2. C'est très intéressant et pertinent.

    RépondreSupprimer

Qui sommes-nous pour juger ?

  Il y a quelques années, j'ai regardé les premières saisons de la série " Orange is the new black " qui tourne autour de la v...