• J'ai un TDAH, et je vous emmerde •

 




Voilà, dit comme ça, je suis sûre de capter votre attention.

Maintenant que toutes les personnes avec un TDAH peuvent enfin sortir du placard, pour la plupart après des décennies de persécution, d'errance et de psychophobie ordinaire, s'il y a bien une chose qu'il m'est devenu impossible de tolérer davantage, c'est l'avis des non concerné·es.
"On a tous des problèmes d'attention", vient rejoindre le classique "Mais on est tous un peu autistes", ou encore le "Mais on est tous un peu bipolaires".

Vous avez passé des années à vous battre pour rentrer dans le moule, sans succès, vous avez claqué des centaines d'euros dans les diagnostics, commencé le médicament, êtes reconnu·e comme travailleur·se handicapé·e, et malgré cela, il y a les non concerné·es (ou bien des TDAH et/ou souffrant·es de troubles psys qui s'ignorent) qui viennent se planter devant vous pour vomir en pleine figure le florilège d'inepties suivant:
"Ton TDAH, c'est pas une excuse. On a tous un TDAH, on est tous déconcentrés, on est tous inattentifs, on est tous... on est tous... cherche pas d'excuse pour justifier ta flemme, tu t'inventes des histoires pour te rendre intéressant·e, etc".

Vous savez, le plus chouette quand on a reçu un diagnostic, bien après le soulagement d'enfin savoir ce qui nous pourrit considérablement la vie depuis qu'on est en âge de ne plus chier dans sa couche, c'est que tous les mécanismes de sur-adaptation qu'on avait mis en place pendant des décennies pour ne pas faire trop de vagues, pour essayer un tant soit peu de ressembler aux gens normaux, et bien ces mécanismes explosent tous, non pas un à un, mais d'un seul coup.

Et quand ça pète, ça fait quelques petits dégâts. D'un coup, les gens ne comprennent plus pourquoi on cesse de se justifier, de s'écraser, de se ratatiner devant eux. D'un coup, les gens ne comprennent plus pourquoi on leur balance toute notre rage et notre colère en pleine figure voire que l'on coupe les ponts avec eux. D'un coup, ils ne comprennent plus notre impatience, notre fatigue, nos moments d'égarement qu'on ne leur cache plus. Quand on a passé toute une vie à faire semblant d'être normal et à approuver quand on nous disait injustement qu'on avait de sérieux efforts à faire, qu'on n'était rien d'autres que des paresseux indignes et involontaires, bousillant au passage des années de confiance en soi et nourrissant les pulsions suicidaires, le masque explose de lui-même. On ne peut plus et on ne sait plus faire semblant

Je lis ça et là sur les réseaux des gens qui disent ne pas parler de leur TDAH, même après ayant eu un diagnostic, par crainte mais aussi par épuisement, de se prendre chaque jour, comme dans "Un jour sans fin" les mêmes remarques, les mêmes phrases assassines en pleine poire. Chacun·e fait comme cela lui est possible pour continuer de (sur)vivre dans ce vaste monde validité et psychophobe. 
Mais je crois que pour ma part, j'ai décrété qu'il était hors de question de fermer ma bouche. Mon diagnostic étant tout frais (un an et demi), je suis encore dans ma période où je me présente de la façon non-exagérée suivante:
"Salut, moi c'est Sarah Belmas et  je suis neuroatypique, j'ai un TDAH, une humeur dépressive et un trouble anxieux généralisé. Ah oui, j'ai aussi le syndrome de Gilles de la Tourette, sous sa forme légère, ou plutôt sous la forme non médiatisée parce qu'elle n'est pas assez impressionnante pour les spectateurs.

Je vois venir de loin les haters dire: 
"Vous voyez? C'est ce qu'on a toujours dit: ce sont des étiquettes pour se rendre intéressant·e! Elles a pas de vie la pauvre, il faut bien qu'elle s'en invente une."
 
Tu sais, Jean-Daniel, si j'ai envie de me mettre une étiquette, c'est mon problème, parce qu'il s'agit de ma vie. Si j'ai envie de crier haut et fort que j'ai un putain de TDAH, alors oui, je vais le faire. Pas parce que je me la pète, mais parce que j'ai passé près de quarante ans, soit l'intégralité de ma vie, à vivre dans le noir, et à buter sur tout ce sur quoi je marchais. Ma merveilleuse étiquette a enfin éclairé la pièce. Je peux enfin savoir comment marche le bordel dans ma tête pour tenter, du mieux que possible, de cohabiter avec. Alors, tu vois Jean-Daniel, ce que tu peux bien penser de mon étalage sur la voie publique me passe au-dessus de la caboche. 

Tu veux que je te dise ? Si tu es si envieux de mon état, alors va-z-y, prends mon cerveau. Découvre la joie des troubles des fonctions exécutives, les études ratées, les comportements impulsifs à risque, l'humeur dépressive, les crises suicidaires, les addictions, la terreur au ventre chaque jour parce que l'anxiété est un monstre qui ne te lâche jamais, les relations toxiques, et tant d'autres choses que j'ai LA FLEMME de t'énumérer parce que je ne suis pas Wikipedia, Jean-Daniel. Je n'ai pas à faire le travail de sensibilisation pour toi, surtout si tu n'as pas vraiment envie de comprendre pourquoi les diagnostics TDAH explosent. Parce que des Jean-Daniel, il y en a mille à l'année et que j'ai autre chose à faire que de perdre mon temps à sensibiliser les complotistes et en plus, de manière diplomatique. Je ne suis pas masochiste, Jean-Daniel. J'ai déjà ma vie à sauver, je ne peux pas me permettre de prendre soin de ton petit validisme.

Tout au long de ma vie, je me suis dit que les seules possibilités pour moi d'être prise en considération dans mes moments de détresse absolue, c'était de m'envoyer à l'hôpital, de me droguer, de me jeter par la fenêtre et que là, peut-être là, avec un peu de chance, celles et ceux qui étaient censé·es m'aider, m'accompagner se seraient dits: 
"Merde, elle a vraiment besoin qu'on l'aide, on ne peut plus ignorer ça.
Mais même ça, je savais que ça ne suffirait pas. 
Parce que les blessés, les cabossés, les tandis de naissance ou en cours de route, les personnes souffrants de maladies visibles ne sont pas mieux épargnées. Au mieux on les regardera avec pitié, au pire, on les ignorera. C'est vrai ça, on a déjà tellement à faire avec nos propres soucis.

C'est pourtant vrai.
Chacun·e a ses emmerdes.
Et c'est bien pour ça que c'est difficile d'en vouloir à des personnes spécifiques.

Mais quand on a balancé des appels au secours, crié haut et fort qu'on avait besoin d'aide, qu'on pouvait se sentir s'effondrer, et que personne n'a rien fait, même pas un micro-pas en avant, peut-on dire que personne n'est responsable ? Nous sommes toustes responsables de se laisser tomber. Au même titre que ce qui nous en rend responsables, c'est quelque chose qui a du pouvoir et qu'on commet l'erreur de ne pas regarder. Ce quelque chose qui a du pouvoir fait tout pour nous rendre haineux les un·es des autres.

Dans un monde où chacun hiérarchise les douleurs, celles du deuil, celles du handicap, celles de la maladie, celles des traumatismes, comment on peut laisser sa place aux personnes qui ont un handicap invisible ? Je marche sur mes deux jambes, mais mon cerveau et mon âme ne fonctionnent pas comme notre beau petit monde capitaliste voudrait que l'on fonctionne. (Ah oui, j'ai aussi la maladie auto-imune de Hashimoto, encore une autre étiquette!)
Ajoutez à cela d'être assignée femme à la naissance. Déjà qu'être femme, c'est la garantie que toutes nos souffrances seront complètement ignorées, alors celles liées au TDAH et ses commorbidités... 

Chaque jour, je le sais, j'entendrai des Jean-Daniel, qui ne sont ni psychiatres, ni neurologues, ni neuropsys, dire que mon TDAH est une invention de Big Pharma, un trouble à la mode et que je ferai mieux de fermer ma gueule, mais je voudrais juste dire à tous les Jean-Daniel que non, je ne la fermerai pas ma gueule, et que je vais brailler. Je vais brailler haut et fort toute ma colère, parce que je n'ai plus rien à perdre. Je suis chaque jour sur le fil du rasoir, à ne pas savoir si j'aurai envie ou non de me réveiller le lendemain.
Alors bien évidemment, Jean-Daniel, que je vais continuer de parler de mon TDAH, de m'en plaindre, de raconter ce qu'il me fait subir, et je continuerai à défendre toutes les personnes qui seront éreintées de devoir se justifier de souffrir d'un handicap. Quoique tu en dises, quoique tu en fasses.

J'ai un TDAH et je vous emmerde.

Ce cri du coeur est le mien mais aussi celui de toutes les personnes qui n'ont plus la force de le faire parce qu'elles sont encore suffisamment détruites pour ne pas y parvenir.


Pour suivre mon travail:
Portfolio  Instagram  Journal d'une TDAH(ieuse)




2 commentaires:

  1. Et tu fais bien. Comme tu dis certains n’ont pas ou plus la force d’expliquer les choses, mais cela est nécessaire. Merci pour ça (Emilie)

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    1. Merci Emilie. Je pense que ça fera écho pour beaucoup de personnes et leur donnera envie de cesser de se taire. Force à nous ♥️

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