° FILM : Arrival - Premier Contact °

  


                   Cet article contient des SPOILERS. Si vous n'avez pas vu le film, faites demi tour !

 

Il y a tant de choses à dire sur le film de Denis Villeneuve.
Mais avant de commencer, il convient de faire une mise en contexte.

Je suis née en 1986 et j'ai grandi avec une culture SF que je trouve, pour le moins, inintéressante. La culture cinématographique que je connaissais dépeignait la rencontre extraterrestre comme invasive et destructrice. Les petits hommes verts étaient des êtres au mieux bêtes et moches, au pire de dangereux exterminateurs (toujours moches).

Le premier film qui a commencé à retenir mon attention, c'était Contact avec Jodie Foster et Matthew Mcconaughey, sorti en 1997. Première claque. Ensuite, il y a eu le mythique Insterstellar.  Je commençais à avoir un nouveau regard sur la SF, une approche sur l'univers et la rencontre du troisième type comme moins hollywoodesque, plus réaliste. Et ça m'a fait envie.

Avec Arrival, on franchit un cran supplémentaire.
Je me souviens n'avoir volontairement rien vu de la bande-annonce. Parce qu'en 2016, dans notre monde ultra-connecté, le mystère et l'effet de surprise n'existaient déjà plus. Je savais qu'il s'agissait d'une première rencontre avec des extraterrestres mais sans en savoir davantage.

Ce 1er janvier 2017, je me décide donc d'aller au cinéma.
Et j'en suis ressortie bouleversée.

Arrival défie tous le codes de la SF. Pas de vaisseau spatial traditionnel avec technologie futuriste. Le vaisseau des aliens est organique, une sorte de galet noir géant de 500 mètres qui flotte au-dessus du sol. Lorsqu'il apparaît, je le découvre avec les yeux de Louise Banks, la linguistique engagée pour établir le premier contact. Je suis imprégnée. Ce film se passe à notre époque, donc dans un contexte réaliste.
Louise a 40 ans. C'est son intelligence et son savoir qui sont mis en avant tout le long du film. Pas sa plastique. Elle n'est même pas un objet de désir comme dans tant de films,  et tout le monde la regarde pour ce qu'elle est: une experte en linguistique.

Arrival est un film lent. Il n'y a pas mille plans à la seconde. Pas d'effets waouh qui ne laissent aucune possibilité de respirer. La scène la plus longue et forte en tension, c'est le moment où Louise et Ian sortent du campement et font leur première rencontre avec les heptapodes. On vit le moment avec eux. On a le cœur qui bat fort. On vit avec eux comment une rencontre extraterrestre pourrait se passer.
Cette lenteur fait ressentir une tension progressive, invite à imaginer la texture des parois du vaisseau, la température, l'odeur. Cette gravité qui change m'a immédiatement fait penser au jeu Super Mario Galaxy. La musique de l'incroyable Jóhann Jóhannsson joue sur cette tension.
Quand on découvre ce qui est l'antichambre du vaisseau des heptapodes, on a le cœur qui cogne. Puisque Louise Banks me ressemble physiquement bien plus que Selina Kyle, je peux facilement m'identifier à elle.

La première rencontre me laisse les yeux écarquillés. Derrière la vitre qui sépare Louise et Ian des heptapodes, se dresse une vaste étendue de brume. Un brouillard mi-liquide mi-gazeux. La silhouette des hepatpodes se devine. Je pense immédiatement: "On dirait des arbres."
En revenant au campement, Ian vomit sous le choc de cette rencontre. C'est ce qu'on ferait, je crois, si on les rencontrait.
Louise doit comprendre le langage des heptapodes pour pouvoir leur poser la question fatidique que le monde se pose..

 

                                                             Pourquoi sont-ils là?
.


... et cela va prendre plusieurs mois.
Plusieurs mois pour comprendre que langage est ce qui nous relie aux autres, au vivant.
Que notre perception du monde change selon la langue que nous parlons, comme le suggère la théorie de Sapir-Whorf.

Le langage écrit des heptapodes est circulaire. Ces logogrammes, sécrétés par leurs pattes en encre, rappellent fortement ceux des pieuvres. Cette langue n'est pas linéaire, elle ne connaît ni début ni fin. Ce langage complexe pousse à se questionner: est-ce que les heptapodes pensent de manière circulaire contrairement à nous qui pensons de manière linéaire ? Comment traduire un logogramme sans faire d'erreur d'interprétation ni d'anthropomorphisme ?

Apprendre une langue prend du temps. Louise Banks reste des mois entiers pour déchiffrer le langage des heptapodes. Denis Villeneuve joue sur notre imagination et notre désir irrépressible de résoudre le mystère. Et je n'avais pas ressenti ça depuis l'époque pré-internet.

Louise Banks a des flashs de sa vie, notamment quand elle était maman d’une fille morte d’un cancer à un très jeune âge. Elle est fraîchement divorcée. Cependant, il s'avère que ses souvenirs ne sont en réalité que des flashforwards, des souvenirs du futur. Les heptapodes sont venus apporter leur langage pour permettre aux humains de percevoir le monde comme eux. Louise est la première humaine à y parvenir. Lorsqu’elle retrouve Costello, l’un des deux heptapodes, face à face, et qu’elle lui demande, après avoir eu une vision de sa fille : "Who is this child ?", c’est à ce moment-là qu’on comprend que les souvenirs de sa fille ne sont en réalité que des souvenirs du futur. Costello lui révèle alors qu’elle est capable de voir le futur. Louise est celle qui enseignera la langue des heptapodes, afin que l’humanité puisse, comme l’a précisé Costello, venir en aide aux heptapodes dans 3000 ans.


L'originalité de Arrival tient aussi du fait que c'est un film de SF qui se passe ... sur Terre. Pas de guerres des étoiles ni de voyages interstellaires. Cette fois, ce sont les extraterrestres qui viennent sur Terre, dans le plus grand des silences. Et ils laissent les humains venir à eux.
Par réflexe, on se demande à quel moment du film les heptapodes vont finir par attaquer. Et cela ne se passe jamais. Leur démarche est pacifique. Ils proposent une forme de jeu à somme non nulle. Chaque participant ressort vainqueur. Les humains gagnent une autre vision du monde en apprenant le langage des heptapodes. Et grâce à ce langage acquis, les heptapodes auront en retour l'aide des humains dans 3000 ans.
Les hepatopodes sont là pour aider les humains à créer des liens avec eux mais également entre eux.

La compréhension des mots et de leurs sens peut vite être bafouée par nos propres biais.
A la question: "Pourquoi êtes-vous là?", l'un des heptapodes répond: "Offer weapon" (Offrir arme). Et c'est tout de suite le branle-bas de combat. Une arme, c'est un outil de guerre. Mais c'est aussi un outil d'apprentissage. Seulement, les dirigeants du monde ne le perçoivent pas de la même manière. Ils décident de cesser de communiquer avec les heptapodes et s'apprêtent à leur déclarer la guerre. Guerre évitée in extremis grâce à Louise.

Qu'est-ce que cela nous apprend ? Que le langage est d'une immense complexité. Nous pouvons faire des erreurs d'interprétation mais être aussi brouillés par nos propres biais. Les mots façonnent notre perception de l'environnement. Peut-être que, pour le langage d'un heptapode, il y a mille définitions du mot "weapon". Il n'y a qu'à voir par exemple le japonais; les idéogrammes peuvent avoir des significations totalement différentes.


Quant aux heptapodes, on ne découvre leur apparence complète qu'en toute fin du film. On se prend une sacrée claque quand Louise se retrouve face à Costello. Plus d'écran vitré, plus de militaires, plus d'outils pour enregistrer les échanges. Ils sont seuls face à face dans l'atmosphère brumeuse et silencieuse du vaisseau. L'encre sécrétée par Costello se dissout dans l'atmosphère et vient effleurer les mains de Louise. Tout est profondément naturel.

La prestance des heptapodes rend leur apparence majestueuse qui dégage quelque chose de sacré.Tous est naturel et apaisant. Le vaisseau, l'habitat des heptapodes, les flashforwards de Louise avec les bruits de vent, de pierres entrechoquées et d'eau qui coule. Pas ou quasiment d'outils technologiques sophistiqués. Le silence joue un rôle majeur dans le film. Il devient ainsi une véritable bouffée d'oxygène sensorielle.

Le film se finit par un questionnement: si nous connaissions le déroulé de notre vie du début à la fin, que changerions-nous? Ou que ne changerions-nous pas ?
Louise choisit de vivre l'ordre des choses et de chérir chaque instant en sachant pertinemment comment tout finira. En cela également, ce film est une claque magistrale.

Et ces heptapodes, tout le mystère qui continue de planer autour d'eux ne fait qu'accroître le désir de les connaître et d'en savoir plus sur eux. Ils donnent ce désir de la rencontre entre humains et extra-terrestres. En tout cas, ce film offre une perspective de la rencontre hautement plus exaltante que celle de bon nombre de films de SF.  

Arrival n'est pas un blockbuster. C'est un film humble, pétri de poésie et d'intelligence. C'est le genre de film qui, après son visionnage, fait que nous ne sommes plus tout à fait les mêmes qu'avant.



Sarah Belmas
23.02.2025

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